Je nais en 1960, à Beyrouth où j'ai toujours vécu (d'abord à
Cheyah, puis à Mazraa - alias Marsad, et finalement Fourn el
Chebbac d'où je t'écris, tout ça étant aujourd'hui appelé
Beyrouth simplement), passant
les étés dans les montagnes autrefois assez sauvages du Kesrouane. J'ai fait toute ma scolarité au Lycée Français
de Beyrouth. J'avais quinze ans au moment du déclenchement
de la guerre civile (dont l'épisode premier a eu lieu à cent
mètres de l'emplacement de la "Grande Maison"). A vingt ans, je pars pour la France. Je
passe douze ans à Aix-en Provence où je fais, à l'Université
de Provence, toutes mes études universitaires en Lettres
Modernes. Je soutiens ma thèse en 1993. Elle porte sur
Antonin Artaud.
En 1993, je reviens au Liban. J'enseigne à l'Université de Balamand (brièvement, mais c'est important parce que
c'est grâce aux responsables de cette Université que j'ai pu opérer mon
retour) et surtout à l'Université Saint-Joseph où j'enseigne la poésie du XXe siècle, le roman contemporain et tout ce
qui a trait à l'extrême contemporain en général. Je deviens chef du
Département de Lettres Françaises à l'USJ en 1999,
et je reçois à l'Université plusieurs romanciers français parmi ceux qui
comptent aujourd'hui (O. Rolin, A. Volodine, P. Michon, P. Grainville) ainsi
que des romanciers libanais (H. Daoud, J. Douaihy). Je me marie en 1998 (mariage "mixte",
ma femme étant sunnite d'origine tripolitaine) et j'ai deux enfants, Saria (celle qui marche la nuit) et Nadim
(le compagnon de boisson et le confident nocturne).
Entre 1995 et 1998, je collabore étroitement à la revue L'Orient-Express, dirigée par le journaliste Samir Kassir et qui est pendant trois ans la revue francophone
d'opposition la plus inventive et la plus audacieuse au Liban, mais à qui son
audace et son ton vaudront qu'elle soit littéralement sacrifiée par ceux
mêmes qui la finançaient et la défendaient et à qui elle commençait à faire
peur. J'y étais chargé de la rubrique littéraire, et j'ai écrit un grand
nombre de textes sur les romanciers d'aujourd'hui (Modiano, Chamoiseau, Olivier Rolin, Garcia-Marquez,
A. Roa-Bastos, C. McCarthy, Richard Ford, Bret Easton Ellis,
G. Swift, P.Hoeg, Baricco,
Mahfouz). En 2002, et à l'occasion de la tenue du
sommet de la francophonie, j'écris un petit livre (Petit traité des
mélanges, sous-titré Du métissage considéré comme un des beaux arts),
où j'essaye de dire mon agacement devant l'aimable notion de dialogue des
cultures, en vogue à ce moment là, privilégiant celle de métissage culturel
ou d'acculturation, beaucoup plus difficile, vécue avec plus de déchirements
et de conflits mais qui permet la survenue d'hommes ou de cultures réellement
à « la croisée » des mondes. Tout cela, je le raconte à partir de
phénomènes dans lesquels je vois aussi l'effet esthétique de l'acculturation,
comme l'onomastique, les paysages, l'architecture, les comportements religieux
etc. et aussi à partir d'un portrait du Liban, terre de tous les
mélanges, fabriqué sur le modèle de l'écriture de L’invention du
monde. En 2005, je publie Histoire de la grande maison, et en
2007 Caravansérail, tous deux aux éditions du Seuil. En 2007
également, et pour une commande de Radio-France, j'écris un texte
radiophonique intitulé Un rendez-vous dans la montagne. Pour finir, et sans
entrer dans le détail des publications diverses et des articles, je signale
que, durant l'année 2007, j'écris une chronique mensuelle dans le quotidien
La Montagne-Centre-France.
Pour ce qui est de mes centres d'intérêts principaux, je dirais que
ma grande passion fut toujours l'histoire, et notamment trois moments
particuliers. Le premier, l'épopée napoléonienne a été une passion
d'adolescence qui s'est un peu estompée. Les deux autres sont toujours «
agissantes » : l'histoire romaine, dans la période de l'austère et virile
république (SPQR) avec sa formidable énergie et sa réserve d’hommes
exceptionnels, et l’histoire grecque (j'aime les paysages grecs, les
cyprès, les genévriers et les vieux temples antiques, comme j'aime les
paysages de la montagne libanaise où dorment les vieux temples sauvages de
l'hellénisme oriental). Mais ce n'est pas vraiment la Grèce classique que
j'aime, mais plutôt l'épopée d'Alexandre et son anabase (et l'Anabase
de Xénophon, et celle de Saint-John Perse !), et
l'époque de l'hellénisation de l'Orient et avec son immense syncrétisme dont
je suis un peu le lointain résultat.
La Grèce et l'Italie ont d'ailleurs toujours été les destinations de
mes voyages. En fait, mon long séjour en France m'a surtout amené à faire ce
perpétuel voyage de retour saisonnier et intermittent au pays natal mais par
des circonvolutions qui m'ont fait passer et repasser par l'Italie, feue la
Yougoslavie, la Grèce, et Chypre. La Méditerranée est donc mon domaine, à
quoi s'ajoute la Syrie et la Jordanie, et les préludes aux déserts d'Arabie. En plus des vieux temples antiques
perdus dans les montagnes, je suis grand amateur d'architecture baroque et
classique. Rome est une ville dont je raffole, ainsi que le Marais Parisien, à
cause entre autres de l'Hôtel de Soubise. J'aime la place Vendôme et celle
(défigurée) des Victoires, et l’Hôtel de Varenne. Mais je raffole aussi
de tous les baroques impurs, celui de Sicile, de Provence, et mon rêve est
d'aller à Ouro-Prêto, au Brésil. A l'exemple de ce
baroque délocalisé, je crois que mes goûts me portent souvent vers ce qui est
le fruit de mélanges, dans l'architecture (qui me pousse par exemple à aimer
plus que par simple goût de mon terroir, l'architecture libanaise, mélange de
vénitien, d'ottoman et d'arabe), mais aussi dans l'onomastique, les paysages,
la culture et on revient à ce que je disais plus haut. Une de mes activités
favorite est de chercher des exemples des « mélanges » les plus inattendus ou
les moins connus (minarets dans les alpages d'Europe centrale, architecture
viennoise du grand souk de Damas, rococo dans l'architecture ottomane
tardive, peinture de style byzantin pour décrire des scènes de beuveries dans
les palais arabes du désert syrien…). Je collectionne ces petites
raretés comme d'autres les timbres ou les papillons. Des amis ont suggéré que
je fasse avec tout ça un supplément au Petit Traité et ont par ailleurs proposé
de créer un site Internet… Bref, je suis très sensible à toutes les
formes de métissages culturels et aux hommes qui les vivent et les assument.
Je suis donc extrêmement fier d'incarner moi-même le mélange, en sa forme la
moins confortable peut-être, celle de chrétien arabe, avec tous les très
esthétiques paradoxes que ces deux mots ensemble peuvent donner à entendre.
Et ce mélange, je suis assez content aussi de l'avoir encore accentué par mon
mariage.
Pour finir, et en ce qui concerne mes « préférences »
littéraires, je dirais pour aller vite que ma bibliothèque idéale
comporterait l'Iliade et l'Odyssée, l'Eneide,
ainsi que ces deux grands livres d'héroïsme et de folie que sont les Sept
piliers de la sagesse de T.E. Lawrence, et Diadorim de João
Guimarães Rosa. Et puis Stendhal, Giono, Proust, Claude Simon, Gabriel Garcia Marquez, Salman Rushdie et
Olivier Rolin. Mais il y a aussi d'autres choses que j'aime, en vrac, Gracq, Volodine, Whitman. Et si je
devais déclarer quel serait le livre que j'emporterai sur une île déserte,
aujourd'hui, comme ça, je dirais que c'est le volume de Saint-John
Perse chez Gallimard comportant Eloges, Anabase et la Gloire
des rois. Et puis il est important de signaler
que je m'intéresse beaucoup (universitairement et
personnellement) à ce qu'on appelle les littératures europhones,
c'est-à-dire les littératures produites en langues européennes par des
écrivains non européens (anglophones, francophones, hispanophones ou
lusophones) et cela pour des raisons évidentes liées à ce que je disais plus
haut sur le métissage et l'acculturation.
|