KINETOSCOPE

le site du Petit traité des mélanges de Charif Majdalani


extrait d’une lettre à un ami

Une biographie de l’auteur par lui-même…

Je suis d'une vieille famille orthodoxe de Beyrouth. Mon grand-père paternel, pour des raisons probablement économiques, s'est déplacé vers la périphérie de Beyrouth à la fin du XIXe, et s'est installé dans la région de Cheyah (Ayn Chir pour les lecteurs de Histoire de la grande maison). Francophile, il est arrêté puis banni en Anatolie par les Turcs durant la première guerre mondiale. Il meurt à son retour et ses fils émigrent progressivement, au Brésil, aux USA et en Égypte. Mon père part tôt en Égypte, il vit à Ismaïlia et à Port-Saïd, réussit dans les affaires (il développe les cantines destinées aux prisonniers allemands et italiens dans les camps de prisonniers britanniques) et au début du nassérisme (1951), il revient s'installer au Liban où il ouvre commerce puis épouse ma mère, fraîchement revenue d'Égypte, elle aussi. Côté maternel, je suis issu d'une famille protestante anciennement orthodoxe. Mon grand-père était anglophone et arabophone. Élève du Syrian Protestant College (Université Américaine aujourd'hui) il part pour l'Égypte dans les premières années du siècle et se met au service du Gouvernement égyptien. Il est ensuite au Soudan, où il travaille dans l'administration anglo-égyptienne. Puis il est aide de camp du général Allenby pendant la campagne de Palestine où il travaille avec T. E. Lawrence, revient au Soudan, est hiérarchiquement très haut placé mais ne s'entend guère avec les Anglais, devient un ami très proche de Abdul Rahman el Mahdi, et aux temps de Nasser, réclame l'indépendance du Soudan par rapport à l'Égypte, ce qui lui vaut d'être arrêté et emprisonné par le régime égyptien. Il meurt en détention. Entre temps, ma mère revient au Liban, où elle rencontre mon père.

Je nais en 1960, à Beyrouth où j'ai toujours vécu (d'abord à Cheyah, puis à Mazraa - alias Marsad, et finalement Fourn el Chebbac d'où je t'écris, tout ça étant aujourd'hui appelé Beyrouth simplement), passant les étés dans les montagnes autrefois assez sauvages du Kesrouane. J'ai fait toute ma scolarité au Lycée Français de Beyrouth. J'avais quinze ans au moment du déclenchement de la guerre civile (dont l'épisode premier a eu lieu à cent mètres de l'emplacement de la "Grande Maison"). A vingt ans, je pars pour la France. Je passe douze ans à Aix-en Provence où je fais, à l'Université de Provence, toutes mes études universitaires en Lettres Modernes. Je soutiens ma thèse en 1993. Elle porte sur Antonin Artaud.

En 1993, je reviens au Liban. J'enseigne à l'Université de Balamand (brièvement, mais c'est important parce que c'est grâce aux responsables de cette Université que j'ai pu opérer mon retour) et surtout à l'Université Saint-Joseph où j'enseigne la poésie du XXe siècle, le roman contemporain et tout ce qui a trait à l'extrême contemporain en général. Je deviens chef du Département de Lettres Françaises à l'USJ en 1999, et je reçois à l'Université plusieurs romanciers français parmi ceux qui comptent aujourd'hui (O. Rolin, A. Volodine, P. Michon, P. Grainville) ainsi que des romanciers libanais (H. Daoud, J. Douaihy). Je me marie en 1998 (mariage "mixte", ma femme étant sunnite d'origine tripolitaine) et j'ai deux enfants, Saria (celle qui marche la nuit) et Nadim (le compagnon de boisson et le confident nocturne).

Entre 1995 et 1998, je collabore étroitement à la revue L'Orient-Express, dirigée par le journaliste Samir Kassir et qui est pendant trois ans la revue francophone d'opposition la plus inventive et la plus audacieuse au Liban, mais à qui son audace et son ton vaudront qu'elle soit littéralement sacrifiée par ceux mêmes qui la finançaient et la défendaient et à qui elle commençait à faire peur. J'y étais chargé de la rubrique littéraire, et j'ai écrit un grand nombre de textes sur les romanciers d'aujourd'hui (Modiano, Chamoiseau, Olivier Rolin, Garcia-Marquez, A. Roa-Bastos, C. McCarthy, Richard Ford, Bret Easton Ellis, G. Swift, P.Hoeg, Baricco, Mahfouz). En 2002, et à l'occasion de la tenue du sommet de la francophonie, j'écris un petit livre (Petit traité des mélanges, sous-titré Du métissage considéré comme un des beaux arts), où j'essaye de dire mon agacement devant l'aimable notion de dialogue des cultures, en vogue à ce moment là, privilégiant celle de métissage culturel ou d'acculturation, beaucoup plus difficile, vécue avec plus de déchirements et de conflits mais qui permet la survenue d'hommes ou de cultures réellement à « la croisée » des mondes. Tout cela, je le raconte à partir de phénomènes dans lesquels je vois aussi l'effet esthétique de l'acculturation, comme l'onomastique, les paysages, l'architecture, les comportements religieux etc. et aussi à partir d'un portrait du Liban, terre de tous les mélanges, fabriqué sur le modèle de l'écriture de L’invention du monde. En 2005, je publie Histoire de la grande maison, et en 2007 Caravansérail, tous deux aux éditions du Seuil. En 2007 également, et pour une commande de Radio-France, j'écris un texte radiophonique intitulé Un rendez-vous dans la montagne. Pour finir, et sans entrer dans le détail des publications diverses et des articles, je signale que, durant l'année 2007, j'écris une chronique mensuelle dans le quotidien La Montagne-Centre-France.

Pour ce qui est de mes centres d'intérêts principaux, je dirais que ma grande passion fut toujours l'histoire, et notamment trois moments particuliers. Le premier, l'épopée napoléonienne a été une passion d'adolescence qui s'est un peu estompée. Les deux autres sont toujours « agissantes » : l'histoire romaine, dans la période de l'austère et virile république (SPQR) avec sa formidable énergie et sa réserve d’hommes exceptionnels, et l’histoire grecque (j'aime les paysages grecs, les cyprès, les genévriers et les vieux temples antiques, comme j'aime les paysages de la montagne libanaise où dorment les vieux temples sauvages de l'hellénisme oriental). Mais ce n'est pas vraiment la Grèce classique que j'aime, mais plutôt l'épopée d'Alexandre et son anabase (et l'Anabase de Xénophon, et celle de Saint-John Perse !), et l'époque de l'hellénisation de l'Orient et avec son immense syncrétisme dont je suis un peu le lointain résultat.

La Grèce et l'Italie ont d'ailleurs toujours été les destinations de mes voyages. En fait, mon long séjour en France m'a surtout amené à faire ce perpétuel voyage de retour saisonnier et intermittent au pays natal mais par des circonvolutions qui m'ont fait passer et repasser par l'Italie, feue la Yougoslavie, la Grèce, et Chypre. La Méditerranée est donc mon domaine, à quoi s'ajoute la Syrie et la Jordanie, et les préludes aux déserts d'Arabie. En plus des vieux temples antiques perdus dans les montagnes, je suis grand amateur d'architecture baroque et classique. Rome est une ville dont je raffole, ainsi que le Marais Parisien, à cause entre autres de l'Hôtel de Soubise. J'aime la place Vendôme et celle (défigurée) des Victoires, et l’Hôtel de Varenne. Mais je raffole aussi de tous les baroques impurs, celui de Sicile, de Provence, et mon rêve est d'aller à Ouro-Prêto, au Brésil. A l'exemple de ce baroque délocalisé, je crois que mes goûts me portent souvent vers ce qui est le fruit de mélanges, dans l'architecture (qui me pousse par exemple à aimer plus que par simple goût de mon terroir, l'architecture libanaise, mélange de vénitien, d'ottoman et d'arabe), mais aussi dans l'onomastique, les paysages, la culture et on revient à ce que je disais plus haut. Une de mes activités favorite est de chercher des exemples des « mélanges » les plus inattendus ou les moins connus (minarets dans les alpages d'Europe centrale, architecture viennoise du grand souk de Damas, rococo dans l'architecture ottomane tardive, peinture de style byzantin pour décrire des scènes de beuveries dans les palais arabes du désert syrien…). Je collectionne ces petites raretés comme d'autres les timbres ou les papillons. Des amis ont suggéré que je fasse avec tout ça un supplément au Petit Traité et ont par ailleurs proposé de créer un site Internet… Bref, je suis très sensible à toutes les formes de métissages culturels et aux hommes qui les vivent et les assument. Je suis donc extrêmement fier d'incarner moi-même le mélange, en sa forme la moins confortable peut-être, celle de chrétien arabe, avec tous les très esthétiques paradoxes que ces deux mots ensemble peuvent donner à entendre. Et ce mélange, je suis assez content aussi de l'avoir encore accentué par mon mariage.

Pour finir, et en ce qui concerne mes « préférences » littéraires, je dirais pour aller vite que ma bibliothèque idéale comporterait l'Iliade et l'Odyssée, l'Eneide, ainsi que ces deux grands livres d'héroïsme et de folie que sont les Sept piliers de la sagesse de T.E. Lawrence, et Diadorim de João Guimarães Rosa. Et puis Stendhal, Giono, Proust, Claude Simon, Gabriel Garcia Marquez, Salman Rushdie et Olivier Rolin. Mais il y a aussi d'autres choses que j'aime, en vrac, Gracq, Volodine, Whitman. Et si je devais déclarer quel serait le livre que j'emporterai sur une île déserte, aujourd'hui, comme ça, je dirais que c'est le volume de Saint-John Perse chez Gallimard comportant Eloges, Anabase et la Gloire des rois. Et puis il est important de signaler que je m'intéresse beaucoup (universitairement et personnellement) à ce qu'on appelle les littératures europhones, c'est-à-dire les littératures produites en langues européennes par des écrivains non européens (anglophones, francophones, hispanophones ou lusophones) et cela pour des raisons évidentes liées à ce que je disais plus haut sur le métissage et l'acculturation.

 

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